vendredi 7 décembre 2018

Gilles est jaune.

L'heure est grave.

C'est la tempête en ville, et sur les réseaux sociaux.

Gilles est sorti de chez lui, Gilles en a ras la casquette. Et sa casquette, Gilles il l'aime bien.

Sa casquette à Gilles, (et non pas sa casquette agile car peu de casquettes font preuve d'agilité, mise à part celles qui sont doubles mais celles-ci appartiennent aux politiques) elle le rassure. 

Elle lui sert de couvre-chef, de protection. "Couvre-chef" étant cependant paradoxal pour Gilles me diras-tu, puisque désormais son but est que les chefs soient publiquement mis à découvert. 

Gilles est donc sorti de ses gonds. Mais ça faisait longtemps qu'il attendait ça Gilles, il attendait juste le bon moment. Il attendait le crépitement de l'allumette qui allait mettre le feux aux poudres, et pas celle de "Perlimpinpin". 

Perlimpinpin, il l'aime pas trop Gilles. Perlimpinpin, c'est le chef des Nantis. 

Pas des Nantais, hein, parce que Gilles a des potes de lutte à Nantes qui adorent la galette. 

Et la galette, du coup Gilles il l'aime bien aussi, surtout celle au beurre qu'il trempe dans son café chaud tout juste sorti du thermos, assis sur une barrière d'une opération "Péage Gratuit" en attendant de faire un selfie devant les caméras de BFM TV.

Enfin "BFHaine TV", parce que Gilles n'aime pas les journalistes, ce sont des "collabos de la dictature en place" qui sont là pour tromper le peuple.

Mais Gilles a quand même besoin d'eux, sinon dur dur de se faire entendre, à 8H du matin, sur un péage au cœur de la Drôme encore brumeux.

Et puis ça tombe bien, parce que le journaliste a aussi besoin de Gilles, car Gilles c'est l'actu chaude du moment, aussi chaude que son café, mais aussi brumeuse que ses idées.

Du coup Gilles il est quand même un peu copain avec le journaliste. D'ailleurs c'est un de ses points communs avec les politiques. Mais Gilles il aime pas les politiques. 

Gilles il veut tout renverser. Sauf la tasse de son café.

Et puis sa glacière aussi, parce que faire un blocus c'est bien, mais sans bière faut pas abuser.

Mais c'est qui en fait Gilles?

Gilles est parfois une caricature, il peut lourdement chuter d'une pelleteuse voulant barrer la route à des forces de l'ordre suite à une conduite mal négociée, mais il peut aussi être cohérent et avoir de la suite dans les idées.

L'un n'empêche pas l'autre me diras-tu, Gilles a aussi le droit de déconner.

Mais Gilles, c'est surtout celui qui en a marre de tout. Et qui a vu que d'autres personnes en avaient marre à la télé.

Il a donc envie de se regrouper.

Parmi eux, Gilles, radicaliste et révolutionnaire du Samedi après-midi, qui s'enflamme rapidement le point serré, et qui appelle à la violence, sans trop savoir ce que c'est.

Mais y'a aussi Gilles, celui qui se bat pour une noble cause, mais qui a du mal à relativiser.

Y'a Gilles, l'agriculteur passionné et méritant, ne pouvant pas quitter sa ferme, dans le besoin urgent et en immense difficulté.

Qui mérite d'ailleurs bien plus que Gilles, l'insoumis en cravate qui fait le tour des plateaux télé, qui lui n'a aucune difficulté, mais pourtant bien plus écouté.

Qui est imité par Gilles, qui s'auto proclame porte-parole du mouvement, parce qu'on sait jamais la notoriété, sur un malentendu ça peut marcher. 

Y'a aussi Gilles, qui s'en fout de la notoriété mais qui casse tout dans la rue et qui met le feu partout avec les copains, parce que casser c'est bien.

C'est d'ailleurs le pote de Gilles, celui qui, en même temps dans la rue d'à côté, pète un distributeur à billets, parce que péter un distributeur à billets c'est s'en prendre "aux banquiers".

Camarade de Gilles, qui tague l'Arc de Triomphe, avec un jeu de mot que personne n'aurait osé tenter.

Y'a Gilles, qui s'en fout de tout casser, mais qui profite du mouvement pour y glisser son idéologie raciste, quitte à mettre un Gilet, on est plus à ça près. 

Du coup, il se castagne avec Gilles d'en face, parce que Gilles il aime pas les racistes, mais il a le même Gilet.

A cause de ça, y'a Gilles le CRS qui se met au milieu, qui ne sait plus qui il faut défendre et sur qui il faut taper.

Gilles le CRS personne ne l'aime, parce que c'est le défenseur des Nantis.

Mais oui tu sais, "Nanti", le mot que Gilles a appris.

Mais Gilles le CRS il s'en fout complètement des Nantis, il a juste envie de rentrer vivant chez lui.

Du coup, Gilles le CRS, il perd ses repères et il dérive. Parfois, ou souvent. Quoi qu'il arrive malheureusement.

Mais ça ne suffit pas, alors y'a aussi Petit Gilles, qui est dégoûté de s'appeler comme ça parce qu'il a 17 ans, du coup il met le feu à son lycée ou il ruine une sandwicherie pour faire comme les grands.

Grand Gilles s'indigne alors ensuite sur les réseaux sociaux que Petit Gilles soit arrêté et menotté.

Pourtant Petit Gilles a ruiné la vie de Gilles le commerçant, qui n'y est pour rien, et qui a mis des années à ouvrir sa sandwicherie. En travaillant. Et ayant les mêmes problèmes que Grand Gilles.

Grand Gilles qui pendant ce temps a fracassé une Porsche au hasard dans la rue parce que c'est trop Nanti, mais qui a lancé un avis de recherche le jour où quelqu'un lui a maladroitement rayé son rétroviseur la nuit.

En même temps, y'a Gilles le cycliste qui part au marché, tout ça il s'en fout, mais il ne sait plus s'il doit mettre son Gilet de sécurité ou pas, car lui il veut juste aller acheter des radis sans se faire emmerder.

Y'a Gilles, celui qui met son Gilet pour aller chasser en buvant un coup, et heureusement que lui il n'est pas là parce qu'il sait beaucoup moins bien négocier.

Bref, tout ça nous a déjà fait oublié Gilles, oui tu sais, l'agriculteur méritant qui travaille tant. Celui qui s'en fout de passer à la télé, mais qui veut juste vivre décemment. Lui aussi s'appelle Gilles pourtant.

Ah oui mais ça on s'en fout aussi, car souviens toi, Gilles le journaliste, enfin Gilles le chef des journalistes, enfin Gilles le Nanti, il veut de l'actu chaude pour faire de l'audience, enfin t'as compris.

Gilles, c'est la France. Et la France, ce n'est peut-être pas parfait. Donc Gilles a le droit de manifester, c'est même son devoir s'il n'est pas satisfait.

Gilles a le droit de porter des convictions fièrement, car des convictions c'est beau, surtout lorsqu'elles sont communes. 

Mais Gilles ne doit pas oublier qu'on lui offre ce droit là car il habite en France, qu'on respecte ses convictions, qu'on le protège, qu'on le considère pour qui il est.

Alors Gilles, s'il te plait, avant qu'il ne soit trop tard, arrête les conneries. 

N'oublie pas qui tu es, et où tu as grandi.

Ne m'oblige pas à jeter mon Gilet, celui que je mettrais en vélo si j'avais envie d'aller m'acheter des radis.