mercredi 29 avril 2020

Le bout du rouleau.

Bonjour,

Jeune occidental.

Oui je dis occidental, car comme tu le sais bien, comme Corneille, je viens de loin.

Haha je démarre très fort je sais.

Corneille le chanteur hein, parce que je ne mise évidemment pas un masque FFP2 ou un pot de gel hydroalcoolique que ta piètre culture générale connaisse le poète, ou en tout cas ses œuvres.

Paix à son âme d'ailleurs.  

Pardonne-moi de te mettre dans un sac, celui de l'occidental, mais je tue tellement de monde en ce moment que pour moi Espagnol, Italien, Allemand ou Français, bah c'est la même, comme disent Maître Gims et Vianney.

Vianney comment je connais?

L'album était en boucle dans un poste poussiéreux à l'accueil de l’hôpital de Mulhouse quand je suis arrivé, vous parlez des autres pays mais c'est quoi ces daubes que vous écoutez ici sans déconner, même moi j'avais envie d'arrêter de respirer.

Désolé de vous le dire si vite, mais vous vivez dans le passé, votre personnel de santé fait des flash mobs en salle d'attente et écoute NRJ en buvant des doses de café avec des biscuits qui ont été livrés par des cagnottes Leetchi parce que votre gouvernement n'a pas eu les moyens ni le temps de les acheter.

Les pauvres, ils sont épuisés, ils me font pitié.

Bon ok, j'ai sûrement déjà un peu pris la grosse tête, je te l'accorde. Mais qui ne l'aurait pas prise à ma place?

En quatre mois, le monde entier ne parle que de moi.

Je ne crains rien, ni personne.

Pas à un seul gouvernement mondial ne m'a résisté. Quelque soit son bord.

Tellement que j'ai même failli mettre Boris Johnson et Kim Jong Un au tapis. Sûrement la seule chose pour laquelle tu m'aurais remercié.

Je n'ai pas touché à Donald Trump par contre, pour la vanne, parce qu'avec lui il faut bien avouer qu'on se marre.

Donc oui, j'ai "percé" comme tu dirais.

A côté de moi, tes influenceurs préférés au volant de leur Lamborghini à Abu Dhabi ou à Phuket sont connus comme ta tante Huguette.

Et avec tout le respect que je lui dois, je ne connais pas son âge, mais j'espère qu'elle ne me connait pas déjà.

Car oui désolé, je ne me suis pas présenté. Covid-19, enchanté.

Mais ça tu l'avais deviné.

Un peu violent comme introduction tu me diras, mais je ne suis pas là pour être ton pote.

Qu'est-ce que tu vas faire de toute façon? Remplir une attestation?

Lol.

Je suis là pour te rappeler l'importance et la beauté de ta courte vie, en prenant celle des autres.

Enfin pour l'instant, si tu ne tousses pas déjà.

J'ai peut-être également pris celle de l'un ou l'une de tes proches. Et je n'en suis surtout pas désolé.

J'en ai pris des dizaines de milliers. 

Je ne suis pas une série Netflix, ni un mauvais jeu vidéo, celui auquel tu joues comme un abruti dans ton canapé depuis qu'à cause de moi tu es confiné.

Ne me dis pas que ce n'est pas vrai, je t'ai vu en slip l'autre jour devant Animal Crossing. T'imagines où t'en es arrivé?

Je t'observe. Je te connais petit à petit. Car je suis la vraie vie.

Quel odieux personnage, me qualifieras-tu.

Tu juges vite, un classique du jeune occidental, ou du vieux je ne sais plus.

"Gripette" me surnommais-tu. Haha. Tu jugeais vite à l'époque mais je dois t'accorder le crédit de l'humour.

Maintenant que tu m'as fais rire, laisse-moi donc te raconter ma courte histoire.

Laurent m'a laissé son vieux blog où il essaye de te faire rire de temps en temps avec son humour tout pété car la seule chose qu'il a trouvé pour m'oublier c'est de s'occuper du jardin de son grand-père.

Oui, oui. Jardiner. Tu le verrais avec ses gants, son bandana et ses cheveux longs, il a la tête dans son potager à longueur de journée, on dirait "Silence ça pousse", il ressemble à un vegan zadiste et déprimé.

Il y passe toutes ses journées depuis un mois. Ça lui permet d'oublier ses peurs et ses craintes. 

Pour lui, ses proches, ceux qu'il aime, jeunes ou anciens.

Qui n'a pas peur de moi d'ailleurs?

Toi? Haha.

Sûrement parce que tu ne l'avoues pas, ou parce que tu veux m'oublier trop vite, et que tu pourrais le regretter.

Tout le monde veut m'oublier. Mais autant vous spoiler de suite: c'est pas gagné.

Tu trouves ton confinement long et injuste?

Ok. Alors let's go back to the debute...(Ouais, vos aides soignantes sont aussi fans de Franck Dubosc je suis désolé). 

Je m'appelle donc Coronavirus. J'ai une carrière en dents de scie. J'ai essayé de devenir célèbre à de multiples reprises sous d'autres versions mais j'ai enchaîné les flops médiatiques.

Jusqu'au jour où tout a basculé. Quand un Chinois a décidé de boire une soupe de chauve souris en se frottant de trop près à un Pangolin enrhumé.

Haha. Ils sont quand même cons ces chinois.

Mais ne rigole pas trop vite, car entre les Parisiens qui se prennent tous les soirs pour des Marathoniens parce que les Jeux Olympiques sont reportés, ceux qui bronzent dans des parcs pour poster des Stories Instagram flinguées et ceux qui font 3h de voiture à la première ouverture d'un drive McDonald's, en termes de cons en France vous êtes aussi bien gratinés.

Mais pardon, tu me diras que je m'égare. Et tu auras raison.

Revenons donc à nos moutons. Enfin pas vous. Ceux de l'expression.

Depuis ce jour-là donc, celui de l'invraisemblable test culinaire chinois que je ne souhaite pas à mon pire ennemi ni même à Didier Raoult, ma carrière a donc explosé.

Jour après jour, j'étais suivi par des millions de personnes. 

Ce que tu n'arriveras d'ailleurs au passage jamais à avoir de ta vie sur ton compte Instagram rouillé, que tu postes ta tartine à l'avocat, ton selfie gênant pour te faire lourdement draguer, ou ton piercing au nombril de l'été dernier.

Et par pitié, épargne moi tes légendes de photos philosophiques en anglais et tes "mood of the day" alors que t'as les fesses à moitié à l'air dans ton bidet.

Tu es ridicule, sache le, mais j'espère que tu notes ici à ton tour ma pointe d'humour satirique d'analyse qui fait mon succès mondial aujourd'hui.

Car oui, avant que la petite cousine de Batman ne me redonne la vie dans un bouillon périmé au milieu du miteux marché de Wuhan, j'ai passé des années à t'analyser. 

Tout ça pour mieux te blesser.

Depuis le temps que j'attendais ça, après tous ces efforts, si tu savais. 

J'ai donc enfin réussi. Enfin réussi à révéler la facette la plus méconnue de l'espèce humaine.

Oui, l'humain. Je n'invente rien, c'est comme ça que te surnomment les pangolins.

Depuis que tu me connais, ils t'observent tous, enfin ceux qui ont la chance d'être encore là, et se fendent la carapace de rire.

J'en ai connu pourtant des espèces, je me balade depuis des millénaires sur des sales bestioles, mais alors toi, tu es de loin celle qui présente la comportement le plus étrange en son genre.

Tu m'as d'abord pris à la légère, en te pavanant, lunettes de soleil sur le nez au micro de BFM TV, d'être au dessus des mesures d'un gouvernement excessif, qui te privait de tes libertés.

Puis me trouvant bien insistant sur les voies respiratoires de ton voisin, tu as paniqué.

Tu t'es d'abord battu dans des rayons de supermarchés pour du PQ comme pour des rouleaux de billet. Serge Gainsbourg doit bien en rigoler d'en haut, de quoi au moins lui dédier cet article.

Il a dû voir arriver Christophe et tous les autres. En se disant la clope au bec qu'il en a fait des conneries, mais qu'à côté de toi il n'était qu'un jeune rookie.

Depuis qu'on se connait, tu t'es ruiné en dévalisant tous les stocks nationaux de Panzani. Comme si un plat de pâtes au gruyère était le remède magique inopiné.

Le plat de pâtes ne faisant pas effet, la peur s'est installée.

Tu as lamentablement voulu chasser le personnel de santé de chez lui, car il habitait ton immeuble. Car c'était pour toi trop risqué.

Beaucoup plus risqué que quand tu continuais de sortir alors que lui travaillait pour des gens qui comme toi ne veulent jamais rien écouter.

Tu as acheté du gel hydroalcoolique ou des masques sans limite pour te protéger, jusqu'à en priver ce même personnel de santé. Tu sais celui qui écoute des daubes sur NRJ mais qui se bat à ta place depuis deux mois pour te sauver.

Tu as culpabilisé alors tu les as applaudis à ta fenêtre. Comme tu applaudis aussi le personnel de caisse qui te fait manger, et celui de nettoyage qui prend tes poubelles pleines de raviolis gaspillés.

Il faut que tu arrives à te l'avouer, tu as toujours peur de manquer, car tu ne donnes rien.

Quand tu n'as plus faim tu regardes la télé, où comme les imposteurs qui y débattent, sans rien savoir, tu critiques tout, mais tu ne fais rien.

Tu te plaignais avant de ne jamais avoir de temps pour toi, tu te plains aujourd'hui de ne plus savoir quoi en faire.

Comme tu n'as rien à faire de tes journées tu mets des likes sur des vidéos d'animaux qui reviennent dans les villes, car tu n'y es plus. 

Tu philosophes alors 3 minutes sur l'écologie en te disant que c'est une sorte de punition de la nature, mais tu reçois un challenge Instagram et tu pars dans ta chambre te mettre un oreiller autour du ventre avec une ceinture.

Mais cette fois c'est sûr, tu es persuadé que les choses vont changer, mais la seule chose à laquelle tu penses c'est comment tu vas t'y prendre pour quand même aller à la plage cet été.

Tu crois que je suis sans pitié, mais tu es bien pire.

Tu veux toujours ce que tu n'as pas, quel qu'en soit le prix, ne profitant jamais vraiment de ce que tu as déjà.

Je sais que tu vas bientôt retrouver ta liberté. Moi aussi j'ai vu Barbe Blanche à la télé.

On va donc se retrouver, et je pourrais bien cette fois ci tout te faire perdre si je le décidais.

Si je voulais, j'en finirais une bonne fois pour toute avec toi, mais je ne le fais pas, uniquement par respect pour ceux qui se battent pour toi, car on dirait que tu ne le sais pas, mais tu as un avenir.

Un avenir autour du respect de tout ce qui te fait vivre et t'entoure, comprenant la nature, et comprenant autrui.

J'adorerais t'en faire prendre conscience un jour, mais je n'y arriverai pas, c'est impossible, même la mort de dizaines de milliers de personnes ne suffit apparemment pas à te rallumer les fusibles.

Sur ce, je te laisse, Laurent revient du jardin.

Il est sympa ce gars, mais je crois qu'il est comme toi.

Dans deux semaines il laissera sûrement ses tomates et ses aubergines pousser seules dans son potager.

Il sortira de chez lui comme si ne rien n'était, oubliant d'un coup tous ces gens qui nous ont quittés arrivant au bout du rouleau à cause de cette pandémie, mais pas celui de ton rouleau de PQ hors de prix.

Le vrai bout du rouleau, celui qui est irréversible, celui de la vie.





Illustration: Complots Faciles


jeudi 23 avril 2020

Imposture et cassoulet.

Se balader parmi les touristes pour à la base vulgairement digérer un cassoulet.

Prendre une photo à la volée dans la Cité. 

La mettre en noir et blanc pour lui donner du cachet.

Lui imaginer un titre polémico-poétique comme « La lumière vient de la meurtrière » afin que l’intelligente feinte prenne de l’ampleur.

Ajouter deux ou trois hashtags sérieux pour s’inventer le talent d’un photographe international expatrié, guidant l’auditoire à ne plus savoir sur quel pied danser.

« So French » pourrait dire Jason, hypster New-Yorkais achetant alors hors de prix le cliché.

Ode à l’imposture sur les réseaux sociaux.

Et que l’imposture est belle, surtout après un bon cassoulet.

Cité de Carcasonne. 16 Février 2020.

L’image contient peut-être : pont et plein air